Le constat
Les chiffres de la précarité alimentaire en France ne cessent d’augmenter
Face aux chiffres de la précarité alimentaire qui ne cessent d’augmenter en France avec l’inflation*; aux conditions d’exercice des métiers agricoles qui ne font que se dégrader et à l’enjeu de la transformation de nos systèmes alimentaires face au changement climatique et à l’évolution de la santé des populations, il est plus que nécessaire de se mobiliser pour préserver un accès digne à l’alimentation durable pour tous, qui prenne soin des mangeur·euse·s, des agriculteur·ices et de notre environnement.
Le projet de Sécurité Sociale de l’Alimentation, décliné en expérimentations locales sur tout le territoire français et porté par le Collectif Nourrir en France est une réponse à ce défi. Plutôt que d’invoquer la responsabilité individuelle et les changements de comportement, qui ne sont pas envisageables tant les citoyen·nes sont pris·es dans des contraintes matérielles pesantes (budgets serrés, temps de déplacement lourds, compromis entre les emplois du temps de tous les membres d’un même foyer, absence de véhicule,…), avec le projet de SSA, le Collectif Nourrir cherche à trouver des chemins systémiques et à repolitiser question alimentaire.
Les principes de la CAC de Montpellier
Des expérimentateur·ices réuni·es autour d’un comité citoyen
La CAC de Montpellier ce sont 360 expérimentateur·ices qui versent chacun·e 1€ minimum par mois à la Caisse. Ils reçoivent en retour 100 Mona (monnaie locale) qu’ils peuvent utiliser dans les points de vente conventionnés par la Caisse (une cinquantaine de magasins, artisan·es et producteur·ices à l’heure actuelle). La gouvernance de la Caisse est assurée par 61 cotisant·es-bénéficiaires qui forment le Comité citoyen. Ce dernier se réunit à hauteur de une fois par mois.
Les membres du comité sont accompagnés d’animateur·ices pour décider de l’orientation de la Caisse, notamment des lieux de commercialisation et producteur·ices conventionné·es, du montant des cotisations… C’est en donnant la parole à un des membres de ce comité que l’on peut se saisir réellement des effets positifs que ce mode de gouvernance a sur les citoyen·nes : « On se sent impliqués et investis dans notre pouvoir, notre rôle de citoyen.[…] J’ai compris que ma place était là parce que j’ai la parole … Je me suis rendue compte qu’on avait tous les mêmes préoccupations »
Effets du dispositif CAC de Montpellier (liste non exhaustive !)
En proposant un système alternatif à l’aide alimentaire, le dispositif a permis à celles·eux qui y avaient recours de retrouver leur pouvoir d’agir, ce qui se traduit par une meilleure estime de soi-même et un meilleur bien-être : « J’ai l’impression de reprendre le pouvoir sur quelque chose qui ne m’allait pas ». Pour certain·es des participant·es, ce dispositif a permis d’« à nouveau manger des produits conformes à [leurs] valeurs » et retrouver « des plaisirs alimentaires [qu’ils avaient oubliés] ».
Diminution de moitié de la précarité alimentaire des bénéficiaires
Le dispositif a contribué à la diminution de 50% de la précarité alimentaire quantitative et de 28% de la précarité qualitative. Une plus grande accessibilité aux produits bios et légumes et fruits frais a eu un effet positif sur la santé perçue, avec une réduction des inquiétudes vis-à-vis de la consommation de produits contenants des pesticides ou le manque de vitamines et minéraux dans l’alimentation (dans le cadre du dispositif 80% des produits consommés sont bio, 20% des produits sont des fruits et légumes frais).
Renouer du lien social
Le dispositif a permis le retour à la dimension sociale, de commensalité, pour les expérimentateur·ices qui étaient en situation de précarité, et ont pu renouer avec la possibilité d’inviter des gens chez eux, mais aussi d’accepter des invitations et de se sentir capable d’aller chez les gens et de partager un repas. Cependant le dispositif n’est pas parfait : sa complexité et les démarches pour y avoir accès sont décrites comme contraignantes pour l’instant, en plus de la question du frein numérique, ce qui a conduit 8% de la population à ne pas recourir au dispositif. Pour les expérimentateur·ices les plus éloigné.es du Comité citoyen, il peut être difficile de trouver du sens au dispositif, qui est plus considéré comme une aide sociale supplémentaire. Certain·es expérimentateur·ices ont ressenti de la violence symbolique à l’entrée de certains lieux conventionnés (magasin bio), une forme de mépris de classe implicite dans la clientèle des magasins. Et pour certains produits, les prix restent inabordables, induisant une violence économique. Tout de même, on observe une appropriation des lieux de l’alimentation durable pour les personnes concernées par la précarité sur le long terme.
Les femmes et la CAC
Dans la CAC, on observe une surreprésentation des femmes (70%), ce qui reflète bien la répartition genrée de la charge de l’alimentation. Mais les femmes sont encore plus représentées dans le comité citoyen (81%) contrairement à ce qui s’observe dans les instances de gouvernance dans tous les autres contextes. La CAC est aussi une opportunité pour celles qui le veulent d’exercer un pouvoir d’agir, d’exister autrement que dans leurs rôles socialement réservés, une expérimentatrice le formule ainsi : « J’existe autrement que dans mon rôle d’épouse et de mère au foyer».
Ce qui est également observé dans la CAC, est que la possibilité de participer au projet procure à des expérimentatrices de la satisfaction, une meilleure estime d’elles et une meilleure reconnaissance de leur travail domestique au sein du foyer. Ainsi, la Caisse Alimentaire Commune de Montpellier est un outil formidable, qui a ses limites mais qui représente surtout une forme nouvelle de contrat social, d’exercice de la démocratie, qui montre qu’on peut faire politique autrement, d’une manière qui nous convient et dans laquelle on a confiance.
L’expérimentation va se poursuivre, puisqu’elle devient une action du projet d’ampleur TerrAsol lancé fin 2024 à Montpellier, lauréat de l’appel à manifestation d’intérêt « Démonstrateurs territoriaux des transitions agricoles et alimentaires ». Dans la même période, une proposition de loi pour instaurer la Sécurité sociale de l’alimentation a été déposée à l’Assemblée nationale.
Ressources
- Rapport d’évaluation et livret pédagogique de la Caisse alimentaire commune de Montpellier
- Proposition de loi SSA
- Collectif Nourrir
- Projet TerrAsol