La multiplicité des acteurs et des projets voit se dessiner un nouvel imaginaire. La synergie entre public, privé et mouvements citoyens pourrait recomposer les lieux et les pratiques culturales, la diversité agricole et la circularité des flux, faisant démonstration du rôle majeur de l’agriculture urbaine dans la transition agroécologique. Mais les habitudes sont tenaces et les idées reçues abondent !

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L’agriculture urbaine, telle que nous l’envisageons, vise à encourager les citadins à s’approvisionner en produits locaux, à manger plus sainement et à se connecter avec les producteurs du territoire. Elle sert de vitrine aux agricultures locales et sensibilise les habitants à leur mode de consommation. L’agriculture urbaine rend également de multiples services écologiques à nos villes (réduction des pollutions engendrées par le transport, lutte contre îlots de chaleur, diminution des risques d’inondation ou d’incendie, etc). Elle remplit également une mission d’aménagement puisqu’elle décloisonne les usages et crée des poches vertes indispensables à nos villes. Elle joue un rôle dans le domaine économique, social et lié à la santé. L’agriculture urbaine contribue à réduire la fracture alimentaire, facilite le lien social, joue un rôle de lutte contre l’exclusion sociale ou encore de sensibilisation à la nutrition. Loin d’être réservée aux seuls « bobos » comme on l’entend parfois, l’agriculture urbaine est un levier au service d’une société plus juste et plus inclusive.

Parce que les questions soulevées par la transition agroécologique sont complexes et pluridisciplinaires, les réponses que souhaite formuler la Cité de l’agriculture ont un caractère systémique et mobilisent différents leviers.

1. Eplucher et faire rissoler les comportements alimentaires

En revoyant nos modes de consommation, nous réussirons à repositionner notre modèle agricole. Pour protéger notre biodiversité et valoriser nos territoires. Pour permettre à tous de se nourrir à prix raisonnables et assurer un revenu décent à nos agriculteurs.

2. Accompagner d’un changement de régime

Nous proposons de manger moins pour manger mieux. Réduire de 50 % notre consommation  totale en protéines ; réduire le rôle du sucre dans nos apports énergétiques ; intégrer plus de fruits à coque, de légumes secs et de céréales complètes, de fruits et de légumes ; réduire les charcuteries et les produits laitiers. En un mot, inverser le rapport entre protéines animales et
végétales sans modifier les apports énergétiques.

3. Finir son assiette

Un tiers de la production d’aliments est perdu ou gaspillé chaque année, ce qui représente 1,3 milliard de tonnes d’aliments. En Europe, les pertes et gaspillages totalisent 39 % de la consommation. Nous réduisons le gaspillage alimentaire via la reconnexion avec le cycle de
production de l’agriculture, le réapprentissage de la cuisine et de « l’art d’accommoder les restes », la redistribution des restes puis le recyclage de ce qui, malgré tout, pourra rester.

Point de moralisation, point de contraintes : plaisir, audace et poésie restent nos moteurs.

Parce que la Cité de l’agri suscite intérêt et questionnements et parce qu’il suffit souvent d’être transparent pour faire la lumière sur notre démarche, voici un petit florilège de questions que l’on nous a souvent posées et de réponses qu’il nous semblait important d’apporter.

« La Cité de l’agriculture, c’est quoi ce nom de structure publique ? »
La Cité de l’agri est une association loi 1901, indépendante et apolitique.

Deux raisons ont été à l’origine de son nom :

1) Il existe des cités de l’architecture, de la musique, des sciences et de l’industrie, de la cosmétique, des métiers etc. mais aucune « cité » dédiée à l’agriculture et à l’alimentation ! Un jour, nous nous sommes dit qu’il fallait pallier le manque.

2) Nous aimions l’idée de réconcilier des termes a priori antinomiques. En réintroduisant la question agricole et alimentaire en ville, nous oeuvrons au quotidien au décloisonnement d’entités souvent considérées comme opposées, tant dans leur géographie que dans leur fonctionnalités.

Sous son allure institutionnelle, ce nom a donc pour nous le mérite de replacer la question agricole au coeur, non seulement de la ville, mais de la cité, en son sens le plus noble à savoir l’espace politique des citoyens.

« Euh.. Vous parlez d’agriculture et vous êtes en plein centre-ville ? »
Parce que 3,5 milliards de personnes y habitent, la ville est un terrain parfait pour aborder la question de la transformation des systèmes arrivés à bout de souffle. 3,5 milliards de personnes s’y nourrissent, 3,5 milliards de personnes y vivent. La ville mange, elle grignote des aliments mais aussi des terres agricoles. C’est là que nous nous sommes implantés pour penser la ville de demain : une ville reconnectée à son alimentation et à ses agriculteurs.

« Ces sujets, c’est quand même des trucs de bobo non ? »
Nous sommes arrivés à un point où la réinvention du modèle agricole et alimentaire nous concerne tous. D’autre part : – En dix ans, l’obésité a augmenté de 200% dans les Bouches-du-Rhône. Le lien entre obésité et précarité socio-économique est aujourd’hui clairement établi. – Nous sommes implantés dans le quartier du Chapitre – Saint Charles (Marseille 1er), un quartier prioritaire où 42% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. – Dans de récents ateliers menés à la Cité de l’agri, 65% des participants disposaient d’un budget alimentaire inférieur à 3€/jour. – Sur 100€ de dépense alimentaire, seuls 6,30€ reviennent à l’agriculture… Loin de créer des logiques d’entre-soi, l’agroécologie, l’agriculture en ville et la cuisine abordable se sont toujours développées en réponse à des situations de crise. Elles s’adressent aussi, et surtout à ceux qui réfléchissent comment mieux se nourrir avec peu.

« Pourquoi Marseille ? »
On dit de Marseille qu’elle est en retard et qu’elle ne veut pas changer. On dit de Marseille qu’elle est cafie de problèmes et que ce n’est pas là qu’il faut monter un projet avec un peu d’envergure.

Mais justement…

La végétation urbaine régule le climat ambiant et réduit les îlots de chaleur. Or, Marseille est une zone urbaine marquée par une très inégale répartition de la végétation. Son centre-ville est très minéralisé : peu d’ombre, peu d’évapotranspiration, peu de captation d’eaux de pluie.

Mais Marseille est une ville qui présente la particularité de disposer de terres ou de friches encore disponibles contrairement à d’autres villes françaises. En 2016, la Chambre d’Agriculture a identifié 193 hectares de potentiel agricole (dont 74 non protégés par le Plan Local d’Urbanisme). Marseille bénéficie d’atouts remarquables : un climat doux, un ensoleillement important, un réseau d’irrigation développé.

Dans les années 1950, la ville était autosuffisante d’un point de vue alimentaire : les vaches pâturaient à Sainte Marthe tandis que les salades poussaient à Château Gombert. Aujourd’hui Marseille n’alimente plus que 2% de sa population.

Marseille, que certains surnomment « capitale de la pauvreté » est aussi une ville aux écarts colossaux où les enjeux sociaux sont cruciaux.

« Marseille regorge de potentiel, laisse la possibilité de tout imaginer et a une véritable carte à jouer dans le champ de la transition du modèle de société. »
Pour certains : c’est quand même dommage d’avoir abandonné la réalisation de l’utopie ! « Nos rêves »
L’idée de départ n’a pas été abandonnée, c’est la prochaine étape ! Nous sommes partis de rien. Pas d’argent en poche, des parcours administratifs, règlementaires et fiscaux peu adaptés à l’innovation, un contexte politique parfois glissant : nous avons choisi d’assurer notre indépendance, de solidifier l’action, de tester la viabilité du modèle. Il a fallu confronter l’utopie au prisme de la réalité !

« Pour d’autres : « ouh » ces grands utopistes ! »
Nous avons une foi puissante en ce que nous entreprenons, c’est vrai. Nous mettons beaucoup de notre énergie pour tenter de faire changer les choses, à notre petit niveau. C’est un choix, parce que nous sommes convaincus qu’il faut une stratégie, des actions concrètes si on ne veut pas 1. faire exploser la planète 2. vivre dans une société morose. Va-t-on y arriver ? Nous ne le savons pas. Mais nous essayons, avec des outils concrets.

« La Cité de l’agri, elle est financée, elle n’a pas besoin d’aide ! »
La réponse est toute simple : nos actions exigent des financements que nous n’avons pas, que nous avons besoin d’aller chercher.

Malgré l’intérêt des différents acteurs du milieu et de nombreux projets en cours, comme toutes les structures émergentes, la Cité de l’agri doit trouver son modèle économique. A terme, nous visons l’auto-suffisance, certaines activités comme l’accompagnement et le conseil pouvant équilibrer les actions de sensibilisation (conférences, événements, ateliers).

Le modèle économique se décline selon quatre axes : prestations, levées de fonds privés, subventions publiques, adhésions. Il n’est pas simple, et nous n’avons à ce jour pas encore trouvé le rythme de croisière. Nous vivons les difficultés que tout le monde subit et nous menons de (très) nombreuses actions non financées, parce qu’elles nous semblent essentielles. Nous mettons tout en œuvre pour assurer notre pérennité mais tout ceci est une lente construction.

« Quels sont vos rapports avec les politiques ? »
Notre action prend place dans la ville, parfois dans l’espace public. Elle active des leviers qui nécessitent des décisions politiques. Nous ne sommes pas les décideurs mais devons faire appel à eux pour certaines de nos actions. En effet, les acteurs publics peuvent agir sur le foncier, tant sur des aspects de préservation des terres agricoles que de planification territoriale. Ils peuvent favoriser voire porter des infrastructures collectives de transformation ou de commercialisation. Ils peuvent être des acteurs incontournables de la restauration collective (grand levier pour l’approvisionnement local). C’est pourquoi nous sommes amenés à nouer des liens et co-construire avec des acteurs publics qui croient en nos missions. C’est aussi ce qui nous permet, nous acteurs de terrain, d’obtenir de véritables impacts opérationnels.

« Pourquoi ne vous présentez-vous plus comme tête de réseau ? »
La Cité de l’agri a été créée en 2015 après une longue étude du terrain. Le diagnostic a permis de faire un constat : plus de 650 structures s’intéressent aux thématiques liées à l’agriculture et à l’alimentation sur la métropole marseillaise. En 2015 Marseille fourmillait d’initiatives, d’idées et de projets trop souvent esseulés. Les structures ne se connaissaient pas, il y avait peu de mise en liens : impact pas à la hauteur des efforts investis et sujet non prioritaire sur l’agenda des politiques.

Nous pensons avoir joué un rôle important dans l’évolution de cette tendance : nous avons organisé et coordonné des événements, des conférences, des colloques et des réunions ; nous avons réuni des acteurs de

sphères très diverses et avons contribué à l’émergence d’un réel dialogue. Nous avons produit un annuaire et créé un lieu pour que tout le monde ait la possibilité de se retrouver.

C’est une mission que nous avons menée avec enthousiasme et détermination parce qu’elle nous semblait être une étape absolument nécessaire. Nous l’avons fait de manière bénévole pendant trois ans : cela nécessite beaucoup de temps et d’énergie et se révèle parfois être un véritable numéro d’équilibriste.

Nous continuerons notre action comme nous l’avons toujours fait, mais sans porter l’étendard de l’animation de réseau. Simplement, nous adoptons une posture ouverte face au territoire, à ses acteurs et à l’évolution de ses mouvements. En continuant à faire ensemble, et à mettre tous les acteurs en lumière.

« Quid d’un projet porté essentiellement par des femmes ? »
Au début on en riait. Au fil des mois puis des trois années d’existence, il est apparu que ce n’était pas anodin. Compétences, savoir-faire et ténacité, il a fallu redoubler d’efforts pour convaincre que nous avions la légitimité de porter ce projet. La Cité de l’agri est un projet inclusif, il veut intègrer toutes les minorités. Et jupes et radis sont compatibles.