La consommation foncière, menace d’un bien commun

© Joachim Monnier. Les Piémonts de l’Etoile, futur parc agricole métropolitain

Les constats sont aujourd’hui nombreux et sans équivoque : malgré les prises de conscience, l’évolution des politiques publiques et la multiplication des discours volontaristes, le béton ne cesse de couler et les villes de s’étendre. En France, entre 2006 et 2014, les deux tiers de l’artificialisation se sont effectués aux dépens des terres agricoles, dont 55 000 hectares environ sont détruits chaque année1. L’accès au foncier, depuis longtemps principal obstacle à l’installation agricole, s’en voit d’autant plus complexifié, et ce en dépit des nombreux départs à la retraite d’agriculteur.ice.s non remplacé.e.

Si les politiques agricoles et foncières (Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, Plan biodiversité et objectif “Zéro artificialisation nette”, loi Sempastous…) tentent, au niveau national, de s’emparer du sujet, elles restent aujourd’hui insuffisantes pour enrayer cette dynamique destructrice. Pourtant, le foncier non bâti constitue de fait une ressource non-renouvelable et en voie de raréfaction, dont la préservation s’avère centrale et nécessaire pour l’avenir de nos sociétés.

Le maintien d’espaces de pleine terre cohérents et structurants (qu’ils soient sauvages, végétalisés ou cultivés), est vital. Précieux dans la prévention des risques naturels comme dans la lutte contre les îlots de chaleur, le développement de l’autonomie alimentaire ou encore refuges de biodiversité, la nécessité de ces espaces n’est plus à démontrer, qu’ils soient hors des villes, sur leur pourtour comme en leur sein. En ce sens, le GIEC considère le sol comme une ressource essentielle dans la lutte contre les changements climatiques, à la condition qu’ils soient gérés durablement2.

Qualifier les sols de biens communs semble donc émaner d’une approche logique et sensée. Si la notion de communs est large, elle peut revêtir a minima, d’après Pierre Donadieu, Elisabeth Rémy et Michel-Claude Girard (2016)3, un sens économique (une ressource épuisable accessible à tous, mais de ce fait destructible), un sens juridique (« il est des choses qui appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous ». Art. 714 du Code civil) et un sens moral et politique, développé par le philosophe Pierre Dardot et le sociologue Christian Laval (2014) : « ce qui est pris en charge par une activité de mise en commun, c’est-à-dire ce qui est rendu commun par elle ».

Le territoire marseillais, riche de paysages naturels et agricoles variés, ne fait malheureusement pas exception en termes de rythmes d’urbanisation : en moyenne, 197 hectares sont artificialisés chaque année à l’échelle de la Métropole4. Cette dynamique n’est pas inéluctable ; elle n’est que le résultat d’une conception opportuniste et court-termiste de l’environnement dans lequel nous évoluons, trop longtemps prédominante dans nos sociétés, donnant lieu à la banalisation de comportements consommateurs jusque dans l’appropriation, l’accaparement et l’usage des sols.

Aussi il nous semble important de souligner que contrairement aux idées reçues, l’artificialisation ne favorise pas la justice sociale en répondant aux problèmes du mal logement puisque seule une très petite minorité des nouveaux logements sont des logements sociaux.

La crise écologique actuelle nous oblige à ouvrir les yeux : 

Cessons de considérer la terre, même en ville, comme une éternelle réserve foncière, comme un support inutile en attente d’urbanité ;

Cessons de nous contenter des interstices et des résidus de programmes immobiliers pour circuler, respirer, cultiver. Tous les usages de la ville doivent bien sûr être pensés : logements, équipements publics, infrastructures de transport, bureaux, etc. Néanmoins, déplaçons le curseur et considérons enfin les espaces de pleine terre comme des composantes essentielles et structurantes d’un maillage urbain équilibré ;

Cessons les discours urbanistiques réducteurs, qui opposent sans nuance nécessité sociale et écologique, densification et étalement, sans recherche de solutions alternatives, de trames d’espaces libres en ville, de recyclage du bâti. Pensons plutôt les liens, les perméabilités et les gradients entre nos espaces de vie accessibles à tous et à toutes, et à toutes les vies animales ou végétales.

Aujourd’hui, les pouvoirs publics ont entre les mains des compétences fortes et incontestables en termes de gestion du foncier, d’urbanisme et d’aménagement, compétences qu’il convient d’appliquer avec urgence et ambition. Les politiques évoluent, à leur rythme, mais les risques demeurent. En témoignent les mobilisations citoyennes récentes et sans cesse plus nombreuses autour de terres en danger, mobilisations encore nécessaires face aux appétits spéculatifs et immobiliers5 : sur notre territoire, le vallon des Hautes Douces, le domaine des Charmerettes, la ZAP de Pertuis, pour ne citer qu’eux, sont autant d’espaces de contestation, de lutte, mais aussi d’espoir et de créativité, qu’il convient d’appuyer et de visibiliser. 

La Cité de l’agriculture renouvelle tout son soutien aux acteur.ice.s qui luttent pour la sauvegarde des terres encore libres, et souhaite continuer à travailler auprès de celles et ceux – particuliers, collectifs, associations ou collectivités – qui œuvrent à la préservation des sols et du vivant.


 1. Terre de  Liens (2022). « Rapport sur l’état des terres agricoles en France ».
 2. United Nations Climate Change (2019). « GIEC : Le sol est une ressource primordiale pour solutionner le changement climatique ».
3. Donadieu, Pierre, Elisabeth Rémy, et Michel-Claude Girard (2016). « Les sols peuvent-ils devenir des biens communs ? », Natures Sciences Sociétés, vol. 24, no. 3, pp. 261-269.
4. AGAM, AUPA (2018). « Consommation d’espace ». Regards (80).
5. Pour plus d’informations à ce sujet, consulter le Répertoire des terres agricoles menacées, réalisé et mis à jour par FNE 13

La Cité de l’agriculture reçoit des financements du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union Européenne avec le numéro d’agrément de fonds No 101000640. Le contenu de cet article ne reflète pas l’opinion officielle de l’Union Européenne. La responsabilité des informations et des opinions exprimées ici revient entièrement aux auteurs.

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