Penser l’agriculture urbaine : les Journées d’Étude de l’AFAUP

Face à l’émergence rapide de nouveaux métiers de l’agriculture urbaine, l’Association Française d’Agriculture Urbaine – AFAUP – est née en 2016, avec la vocation de fédérer les professionnel.le.s de l’agriculture urbaine et de faciliter les liens avec les autres actrices et acteurs de la ville, le monde agricole et le grand public. Membre du conseil d’administration de l’AFAUP, la Cité de l’agriculture a pu participer aux deux premières journées d’études organisées par cette dernière, à Rennes et à Nantes, les 22 et 23 septembre dernier.

         Alternant visites de terrains et échanges, ces journées avaient vocation à appréhender et incarner le montage de projets professionnels d’agriculture urbaine, de la conception à la gestion. 12 sites ont ainsi pu être parcourus et commentés :

Ce panel d’expériences illustre à merveille la diversité des modèles, approches, objectifs et réalités de l’agriculture urbaine d’aujourd’hui. Leur étude plus poussée, au fil de ces deux journées, amène à des réflexions qui, si elles méritent d’être soulevées, n’appellent pas forcément une réponse toute tranchée…

Du rural à l’urbain, l’agriculture en commun

Si plusieurs critères permettent d’identifier une diversité d’agricultures urbaines, il est utile de rappeler que ces dernières restent liées aux exploitations rurales :

> De par leurs finalités, en l’occurrence produire pour nourrir une population, mais aussi créer, préserver et valoriser des espaces cultivés ;

> De par leurs enjeux et problématiques, notamment en termes d’accès au foncier (difficultés à trouver un terrain où s’installer, une exploitation à reprendre) comme d’endettement et de rentabilité (de nombreuses filières restent dépendantes des aides agricoles – PAC et DJA dans une moindre mesure – ou de subventions).

Les frontières entre agricultures urbaines et rurales, qu’elles soient spatiales ou fonctionnelles, restent floues, et leur conception varie selon les act.rice.eur.s et les territoires. Une exploitation agricole progressivement rattrapée par l’urbanisation pratique-t-elle de fait l’agriculture urbaine ? A l’inverse, une ferme géographiquement isolée mais ouverte sur la ville (par la commercialisation de ses produits, ou l’accueil de groupes scolaires urbains par exemple) reste-elle exclusivement « rurale » ? Si le caractère urbain (ou non) d’un projet agricole constitue un champ de réflexion passionnant, ne devrait-il pas, plutôt que de viser à compartimenter ou diviser les act.eur.rice.s et réalités agricoles d’un territoire, leur faire prendre conscience de leur complémentarité ?

Ferme des Milles Pas, Rennes, septembre 2020

Diversité des modèles : complémentarité(s) et temporalité(s) de l’agriculture urbaine

Des agricultures urbaines

Sous un même terme, « agriculture urbaine », se cachent d’ailleurs des approches et réalités diverses. Il existe non pas une mais des agricultures urbaines, avec ses extrêmes et ses débats, entre lesquels navigue une multitude de projets.

Du container de Farmbox, unité de production hydroponique continue, à la micro-ferme péri-urbaine permaculturelle PermaG’Rennes, il n’y a que quelques kilomètres. Pourtant les modèles, outre leur caractère (péri)urbain, n’ont que peu de points communs. Ils questionnent alors notre rapport à la terre, au produit, nous forcent parfois à nous positionner sur une échelle de valeurs.

Farmbox, Urban Farm, Rennes, septembre 2020

Ces débats ne se limitent pas à la sphère technique : les agricultures urbaines, par leurs apports (pédagogiques, environnementaux, paysagers, etc.) à la ville, soulèvent des questions plus larges que directement liées à la culture de la terre :

  • En termes d’économie : les projets professionnels doivent-ils être rentables et productifs ? Comment soutenir et valoriser des services et externalités positives hors du champs marchand ?
  • En termes d’éthique : quelle place pour l’animal en ville, où les conditions du bien-être animal ne sont pas des plus évidentes à réunir ? (Manque d’espace, stress dû aux nuisances sonores ou olfactives, qualité des ressources…)
  • Ou encore en termes urbanistiques : quel rôle donner à l’agriculture dans l’aménagement de nos villes ?

L’agriculture urbaine comme levier de la transition agroécologique, vision portée par la Cité de l’agriculture, apporte une première proposition de réponses : pour une agriculture économe en ressources, respectueuse des sols et du vivant, créatrice de liens entre citoyen.ne.s, professionnel.le.s comme amat.rice.eur.s !

Perma G’Rennes, Rennes, septembre 2020

Urbanisation : les champs sur la ville

Sur la question de la transition des villes par leur aménagement, les lignes sont mouvantes. L’agriculture urbaine a souvent occupé un poste transitoire ; l’occupation temporaire d’un lieu par sa mise en culture présente en effet de nombreux avantages pour sa/son propriétaire (valorisation du site, prévention d’usages illicites, gardiennage et entretien à moindre coût, etc.), dans l’attente d’un projet immobilier. Des actrices et des acteurs, comme la Sauge, à Nantes, ont su jouer avec les temporalités urbaines, en occupant provisoirement des lieux voués à la démolition (site des Agronautes, sur l’ancien MIN horticole, ayant vocation de préfiguration) dans l’attente d’une installation pérenne prochaine.

L’agronaute, La SAUGE, Nantes, septembre 2020

Si ce mode de fonctionnement peut correspondre aux attentes de certain.e.s porteu.se.r.s de projets (pour tester leur activité ou gagner en visibilité par exemple), il induit pour d’autres une précarité préjudiciable à l’activité. Cette capacité à rebondir n’est pas la norme ; l’agriculture s’inscrit dans le temps long, celui du travail des sols et de la croissance du vivant. Les projets de pleine terre sont les premiers concernés, intrinsèquement liés à un site, son histoire et son avenir. Ils ne sont pas mouvants ni déplaçables à souhait, de ce fait il convient d’en prendre soin, de les préserver, leur assurer une pérennité (la micro-ferme PermaG’Rennes par exemple, malgré les volontés publiques de soutien à l’installation, ne dispose à ce jour d’aucune sécurisation du foncier, qu’il s’agisse du mode de mise à disposition du terrain comme du zonage au document d’urbanisme).

La Vache Nantaise, L’Etable Nantaise, Nantes, septembre 2020

Malgré la poursuite du phénomène d’urbanisation de terres agricoles, des perméabilités apparaissent : et si, à terme, il ne s’agissait plus de construire la ville sur les champs, mais de cultiver nos champs sur la ville ?
Le projet de ZAC Doulon Gohards, à Nantes, tente d’intégrer cette logique en articulant la construction de 3 000 logements autour de la création de 5 fermes. En contrepartie de l’artificialisation induite par les constructions, le projet urbain se propose de faire office de levier à l’installation, voire d’en faire son élément central de programmation.

Pour autant, bien que ces projets offrent une place d’honneur à l’agriculture dans le développement des villes, il convient d’éviter leur systématisation, car ils impliquent tout de même – du moins en partie – l’urbanisation de terres cultivables. Pour la Cité de l’agriculture, l’agriculture urbaine ne doit pas servir d’alibi à l’artificialisation des sols. 

Transformer et relocaliser notre modèle agricole : le rôle des collectivités

La multifonctionnalité des projets d’agriculture urbaine – qui conjuguent des actions et impacts d’ordre tant économique que social ou environnemental – et leur insertion dans un milieu ou l’espace est rare et convoité tend à accroître leur vulnérabilité. Conscientes de cette complexité, certaines collectivités territoriales ont saisi ce sujet et agi en levier pour l’installation et la pérennisation de projets d’agriculture en milieu urbain. Pour beaucoup, les externalités induites par l’agriculture urbaine justifient un soutien public, les bienfaits apportés à la société relevant parfois plus du service public que du service marchand.

Le potager de la Cantine, Nantes, septembre 2020

L’apparition de portefeuilles d’élu.e.s en lien avec la transition agroécologique (agriculture urbaine, alimentation durable, circuits courts, nature en ville, etc.) illustre bien cette prise de conscience des décideu.se.r.s politiques et leur volonté d’intégrer ces réflexions à l’action publique. A ce titre, plusieurs compétences des pouvoirs publics peuvent être mobilisées : identification et préservation du foncier (via les documents d’urbanisme) puis facilitation de son accès (via sa mise à disposition), soutien à l’installation et à sa pérennisation (via des aides financières, techniques ou en nature), valorisation, intégration et adhésion de la population aux projets (via un projet politique clair et affiché et des outils de communication adaptés).

Jardin des Plantes, Paysages Nourriciers, Nantes, septembre 2020

En parallèle, certaines collectivités ont choisi de mener et de gérer en direct des actions liées à ces thématiques, à l’image de la Ville de Nantes avec l’opération Paysage Nourriciers (une cinquantaine de jardins potagers en ville, entretenus par les jardinier.e.s du service des espaces verts).

Si l’agriculture constitue, à la campagne, un usage « de fait » (les terres agricoles, malgré la déprise et l’urbanisation, restent identifiées et dédiées), elle entre en concurrence, en ville, avec d’autres usages, parfois incompatibles entre eux. L’arbitrage et le soutien des collectivités prend ici toute son importance. L’agriculture urbaine, dans toute sa diversité, est alors amenée à asseoir sa légitimité, du temporaire au durable, de l’interstice au central, du mètre carré à l’hectare !

Potager de la Cantine, Nantes, septembre 2020

 

 

Lucas Turbet Delof
Chargé de projet en agriculture

 

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