Le Compte-rendu des Journées des Agricultures Urbaines en Méditerranée 2019

Les Journées des Agricultures Urbaines en Méditerranée – édition 2019

 

La seconde édition des Journées des Agricultures Urbaines en Méditerranée s’est tenue à Marseille les 15 et 16 Octobre derniers. Plus de 200 participants y ont participé. Une vingtaine d’intervenants venus des quatre coins du pourtour méditerranéen ont animé la première journée d’échange à Coco Velten. Le deuxième jour fut dédié à des visites de sites et à des ateliers d’intelligence collective. Retour en mots et en images.

 

Acte 1
L’agriculture, moteur d’initiatives urbaines
 

Ce premier acte s’est intéressé aux initiatives d’agriculture urbaine à l’échelle entrepreneuriale. De manière très concrète, les intervenants sont revenus sur leurs expériences de porteurs de projet : comment en sont-ils arrivés là ? Quelles étaient les opportunités de départ ? Quels ont été les montages opérationnels ? Quels sont leurs modèles économiques et quelles difficultés ont-ils rencontré ?

Les intervenant.e.s :

  • Sébastien Girault – Oasis Citadine – Montpellier
  • Carl Pfanner – Le Talus – Marseille
  • Pascal Thomas – Futura Gaïa – Nîmes
  • Cécile Trousseau – le Paysan Urbain – Marseille

 

Comment en sont-ils arrivés là ? 

Cécile Trousseau et Sébastien Girault étaient déjà présents aux premières Journées des Agricultures Urbaines en Méditerranée en 2017. 

  • Cécile Trousseau (Paysan Urbain) souhaitait se reconvertir et combiner : social, économie et environnement. Sa rencontre avec Benoît Liotard, le fondateur du Paysan Urbain – un projet d’agriculture urbaine initialement monté en Île-de-France -, a été déterminante. À Marseille, le Paysan Urbain cultive des micro-pousses et accompagne des personnes en chantier d’insertion professionnelle. 
  • Sébastien Girault (Oasis Citadine) travaillait dans le domaine de la finance. Il a souhaité changer de domaine et se reconvertir avec l’idée de rendre accessible l’agriculture aux citadins. Son rêve ? Créer un lieu ludique et convivial avec une dimension productive importante. C’est ainsi qu’est né l’Oasis Citadine à Montpellier. 
  • Pascal Thomas (Futura Gaïa), ingénieur de formation, s’est inspiré des nouvelles technologies utilisées dans les fermes urbaines au Québec. Avec peu de ressources (en eau et en lumière), il produit des volumes importants dans un milieu de culture contrôlé.
  • Carl Pfanner (Le Talus), diplômé d’école de commerce, s’est toujours intéressé à l’écologie et notamment à la compatibilité entre technologie et durabilité. Sa rencontre avec Frédéric Denel, le fondateur d’Heko Permaculture, et Valentin Charvet a été déterminante dans l’histoire du Talus, mais aussi dans la création d’un potager scolaire d’une école du quartier de la Pointe Rouge et d’un îlot potager dans le quartier prioritaire de Frais Vallon. 

Sur quels modèles économiques reposent leur projet ? Quel démarrage ? 

Pour les quatre projets représentés, c’est l’hybridation des modèles économiques qui a permis le développement de ces initiatives d’agriculture urbaine. 

Actuellement, Oasis Citadine et Le Talus combinent la production de fruits et de légumes avec d’autres activités (formations, événementiel, sensibilisation pour les scolaires et/ou les entreprises). 

  • Pour Oasis Citadine, l’adhésion à la ferme est de 40€ par mois. Avec 80 adhérents, c’est la première source de revenu. L’ensemble de la production de l’exploitation est partagée entre les adhérents. Oasis Citadine emploie 2,5 ETP et fait appel à 8 volontaires en service civique.
  • Le Talus vend ses légumes (15-20% du CA) et les transforme dans sa cuisine (40% du CA). La micro-ferme propose aussi des bacs potagers à la location (5-10% du CA) et des formations (5% du CA). Côté ressources humaines, le Talus emploie 2 ETP et a recours à plusieurs volontaires en service civique. Le Talus a démarré le projet grâce au mécénat, il vise l’équilibre financier d’ici 3 ans. 

Dans ces deux cas, les intervenants retiennent qu’il est difficile d’être rentable pour une ferme urbaine, notamment lorsqu’on souhaite y ajouter une dimension sociale et/ou éducative, souvent chronophage et peu rémunératrice. 

  • A contrario, l’initiative du Paysan Urbain, a eu besoin d’aides publiques au démarrage du projet, mais vise un équilibre financier à 3 ans. La vente des micro-pousses aux restaurateurs leur permet d’employer 3 ETP auxquels s’ajoutent 7 salariés en réinsertion. Le choix d’un produit de niche, les micro-pousses, leur permet d’atteindre une certaine stabilité financière.
  • La ferme de Futura Gaïa, a été créée cette année sur fonds propres. La production a été lancée en août dernier. Elle emploie 7 ETP et vise des projets de développement à plus grande échelle. 

Ces projets sont-ils reproductibles ? 

Ces projets de ferme urbaine sont reproductibles selon Carl Pfanner, mais la prise en compte des spécificités territoriales (climatiques, sociales, politiques) est essentielle. Chaque projet doit s’adapter à son climat et à son public. Il est possible de raviver un sol mort, comme c’est souvent le cas sur les fonciers récupérés en milieu urbain. Selon Carl Pfanner, il existe une vraie capacité auto-régénératrice des sols et il est primordial de s’appuyer sur les fonctionnements naturels plutôt que d’aller à leur encontre. Par exemple, l’Oasis Citadine utilise des techniques de paillage et d’irrigation au goutte à goutte. 

Pour Pascal Thomas, si l’on veut répondre à la demande des consommateurs, il est nécessaire d’augmenter notre production pour éviter d’importer. La technologie peut permettre de produire quelles que soient les conditions climatiques. 

Problématiques et questionnements soulevés par les échanges 

  • Comment rendre stable le modèle économique des fermes urbaines ? 
  • Est-il possible de démarrer sans subvention ? 
  • Est-il possible d’allier sensibilisation et production dans une ferme urbaine tout en étant rentable ? 
  • Quel est le positionnement des pouvoirs publics vis-à-vis des services éco-systémiques rendus par l’agriculture urbaine ?

Observateur : Léon Garaix (Direction Espaces Verts et Environnement, Ville de Paris)

La Ville de Paris a mis en place le projet Parisculteurs qui a permis de déverrouiller en partie l’accès au foncier. 

Vingt projets ont été installés pour l’instant. Léon Garaix insiste sur le fait que beaucoup de porteurs de projets ne se connaissent pas entre eux. Un des rôles des collectivités devrait donc être, selon lui, la mise en réseau des porteurs de projet. Sur la question des modèles économiques, il faut prendre en compte l’hybridation des modèles. Outre l’appui à la production, jusqu’où la puissance publique doit-elle aller ? Doit-elle mettre en place des espaces d’approvisionnement, de transformation et de commercialisation ? 

Acte 2
L’agriculture, moteur de la fabrique urbaine et sociale

Le deuxième Acte de la journée s’est attaché aux liens possibles entre l’agriculture et la fabrique urbaine. Comment intégrer l’agriculture urbaine dans les projets de la ville (nouveaux programmes et/ou rénovation urbaine) ? Quelle place pour l’agriculture urbaine dans les quartiers «politique de la ville» ? Comment peut-elle être génératrice de lien social ?

Intervenant.e.s 

  • Michel Chiappero (Garden Lab – Gignac la Nerthe) 
  • Daniel Le Blay (Adjoint à l’urbanisme, Ville de Mouans-Sartoux),
  • Philippine Menier (DGA Développement urbain – Métropole Aix Marseille Provence)

Excusés (vols annulés)

  • Raimon Roda i Noya (Service Infrastructure Verte – Métropole de Barcelone)
  • Salwa Tohme Tawk (Université Libanaise, Faculté d’agronomie – Liban)

Quels projets ?

Dans les années 2000, la commune de Mouans-Sartoux a du faire face au risque de rupture d’approvisionnement alimentaire. La ville a alors fait le choix de prendre des mesures pour relocaliser ses approvisionnements et donc d’agir directement sur son agriculture. Une étude révèle alors que 130 hectares sont nécessaires pour nourrir la population de la commune, la ville en possède 112. Sur ces espaces identifiés, 25 à 30% sont à l’époque maîtrisés. La Ville élabore alors un Plan Local d’Urbanisme, en prenant l’agriculture comme un enjeu de souveraineté municipale et citoyenne. En parallèle, la commune créé une régie agricole municipale, permettant ainsi à 8 agriculteurs municipaux de cultiver 9 hectares pour approvisionner les trois restaurants collectifs de la commune. 

À Gignac, la collectivité a sanctuarisé 30 hectares de zones constructibles pour en faire un espace d’échange entre nature et agriculture avec un lieu de promenade, des jardins familiaux, des zones maraîchères, des jardins partagés, des potagers pédagogiques… Ce projet de Garden Lab permet aussi de favoriser l’installation des agriculteurs avec notamment la modification du Plan Local d’Urbanisme (Orientation d’Aménagement et de Programmation agricole).

La Métropole d’Aix Marseille Provence s’intéresse à l’agriculture urbaine dans les quartiers prioritaires de la ville notamment pour son impact sur l’insertion et le lien social. Philippine Menier insiste sur le fait que les politiques publiques permettent de créer un socle favorable pour initier les projets d’agriculture urbaine sur les territoire prioritaires. La Métropole a réalisé une étude d’identification des besoins des porteurs de projets (techniques, financiers,…) et organisé des rencontres avec les acteurs qui a permis la prise en compte de la diversité des projets présents sur le territoire.

Qu’ont apporté ces projets à la ville ? 

À Mouans Sartoux, grâce au programme Défi Famille soutenu par l‘ADEME, des familles volontaires ont échangé sur leurs habitudes de consommation et les améliorations possibles. Les dernières enquêtes montrent que 28% des familles s’alimentent en agriculture biologique et 15% consomment des produits locaux. Les familles ont calculé qu’en s’approvisionnant en agriculture biologique, elles économisent 28 centimes par repas. 

À Gignac, un comité de suivi et de dynamisation a permis de partager et de transformer l’identité locale. L’agriculture participe désormais à la métropolisation et à l’urbanisation au même titre que le bâti. Selon Michel Chiappero, c’est la frontière entre urbain et rural au sein de la métropole qui s’efface peu à peu.

À Marseille, il y a environ 80 jardins familiaux. Les jardins partagés sont un formidable outil au service de la cohésion sociale : lien social, vie de quartier, lieu de rencontre, mixité sociale, lieu support pour la formation, accueil de groupes de femmes mais aussi de groupes scolaires. Les collectivités doivent travailler sur la bonne gestion de cet outil pédagogique (création de jardins, accompagnement dans la gestion et appropriation par les acteurs du quartier). 

Problématiques et questionnements soulevés par les échanges 

  • Comment accompagner et former ce nouveau métier qui émerge entre l’animation, la sensibilisation et l’agriculture ? 
  • Comment pérenniser les projets quand les mandats politiques sont de courts termes ?  
  • Comment mieux articuler le renouvellement des générations afin de faciliter le transfert de terres agricoles ? 

 

Conclusion de la demi-journée : Éric Duchemin (Professeur associé à l’UQAM (Université du Québec à Montréal) et Directeur du AULAB (Laboratoire sur l’Agriculture Urbaine) et du CRETEAU (Carrefour de Recherche, d’Expertise et de Transfert En Agriculture Urbaine) – Québec)

Le spécialiste québécois de l’agriculture urbaine est revenu sur cette première demie-journée d’échanges. Il en retient plusieurs points, interroge et met en garde. 

Sur la question des modèles économiques Éric Duchemin rappelle que :

  • La stabilité économique peut être atteinte, notamment grâce aux produits de niche, mais qu’un risque de saturation du marché existe. Le marché est-il capable d’accueillir autant de fermes urbaines?  Quelle surface est nécessaire pour être rentable ? 
  • Les fermes urbaines ont souvent une diversité d’activités entre production, sensibilisation, événementiel : la fameuse hybridation des modèles économiques. Est-ce que ces espaces produisent ou rendent des services ? Quelle activité valorise-t-on à court terme ?

Quel est le rôle de l’agriculture urbaine ? 

L’agriculture urbaine ne peut pas nourrir les villes. L’agriculture urbaine a un rôle dans la transition urbaine. Elle tend à créer des villes viables et durables. Elle permet de favoriser des systèmes agro-alimentaires plus durables (unité de production, transformation et commercialisation).

  • Comment s’adapter à cette nouvelle agriculture qui demande des adaptations au niveau réglementaire et fait émerger de nouveaux métiers ? A-t-on besoin de formations spécifiques ? 

Le rôle des politiques publiques :

  • Sous quelles formes favoriser le développement des fermes urbaines ? Par l’investissement privé ou public ? À long terme qu’est ce qui est le plus porteur ? 
  • La production agricole peut être abordée comme la culture, serait-il normal d’avoir une zone de production dans son quartier comme on a une bibliothèque ou une piscine ? 
  • L’agriculture conventionnelle est très subventionnée… Pourquoi les agriculteurs urbains ne le sont pas ?

Acte 3
L’agriculture, moteur d’initiatives urbaines

Ce troisième Acte s’est attaché à définir le rôle que peut jouer l’agriculture urbaine dans la constitution de territoires durables et résilients. Quel rôle peut jouer l’agriculture urbaine dans la relocalisation de la filière agricole et alimentaire ? Quels liens entre l’urbain, le périurbain, l’hinterland et la périphérie ? Comment l’agriculture urbaine s’intègre-t-elle aux stratégies de planification et de gouvernance territoriales ? Quelle souveraineté alimentaire pour les territoires de demain ? Faut-il un nouvel urbanisme alimentaire ? 

Intervenant.e.s

  • Laure Gaillard (PAT – Métropole Aix Marseille Provence)
  • Fatmir Guri (Université Agricole de Tirana – Albanie)
  • Coline Perrin (chargée de recherche à l’INRA UMR Innovation – Montpellier)
  • Maëlle Thueux (chargée de projets à la Cité de l’Agriculture)

Quelle interaction ville-territoire ?  

L’urbanité “prédatrice”, celle de l’urbanisation des zones périphériques, a très largement progressé pour Montpellier et Marseille (années 1960), comme pour Tirana (années 1990). Ce phénomène transnational, fait que de nombreuses villes tournent le dos à l’agriculture périurbaine et de proximité et se mettent à importer de plus en plus d’aliments. Toutefois, depuis une dizaine d’années, les intervenants, observent un changement de cap : un phénomène de reconnexion avec l’agriculture se développe et permet une certaine relocalisation de la production agricole. Les habitants sont de plus en plus préoccupés par la sécurité alimentaire de leur territoire et par la qualité des produits qu’ils consomment. 

  • A Montpellier cela se traduit par la montée en qualité du vin et par une réappropriation citoyenne de l’alimentation. 
  • A Tirana il y a une volonté publique de changer l’image de la ville, une envie de voir la capitale entourée de villages et de production agricole. 
  • Quant à Marseille, la quantité de foncier disponible est une grande opportunité. Il y a des centres urbains très denses sur le territoire métropolitain comme à Arles et à Salon De Provence ce qui a peu laissé se développer l’agriculture. La question de la nature en ville a été pensée beaucoup moins spontanément qu’au Québec par exemple.

L’urbanisme alimentaire

Les intervenants ont particulièrement insisté sur le nécessaire décloisonnement des sujets. L’alimentation est un puissant levier de changement si cet enjeu est envisagé comme un écosystème : production, distribution, consommation. Au niveau des politiques publiques, cela doit se traduire par plus de transversalité, une meilleure coopération entre les différents services et un échelles de territoire. 

  • Le Projet Alimentaire Territorial (PAT) est porté par la Métropole Aix Marseille Provence. Son objectif est de construire une politique agricole et alimentaire globale et durable sur le territoire. Le PAT tend à devenir un Système Alimentaire Territorial (SAT). Aujourd’hui, la Métropole Aix-Marseille Provence importe 90% des fruits et des légumes qu’elle consomme. Pour Marseille, ce chiffre atteint 98%, alors même que plus de 230 hectares de terres seraient disponibles pour de l’agriculture (l’équivalent du 3ème arrondissement de Marseille). 
  • À Montpellier, la prise en compte de l’alimentation dans les politiques publiques urbaines est nouvelle mais réelle. Il y a une volonté de gouvernance alimentaire urbaine, tout en sachant que le territoire de Montpellier ne sera pas suffisant à lui seul pour nourrir la ville. Il faut penser au delà de l’intra-urbain et travailler l’inter-territorial, l’intersectoriel, l’inter-service. 
  • À Tirana, une délimitation verte existe grâce à la plantation de milliers d’arbres fruitiers qui relient les espaces protégés et limitent l’extension urbaine. De plus, la ville a mis en place des marchés de proximité et une marque « Made in Tirana » qui valorise les produits locaux.

Problématiques et questionnements soulevés par les échanges 

  • Comment ménager développement urbain et développement agricole ? Le périurbain est-il une solution ?
  • Comment faire le rapprochement ville – campagne ?


Observateur :
Olivier Bories
(Chercheur et maître de conférences à l’ENS de formation de l’enseignement agricole – Toulouse)

L’agriculture urbaine révèle l’importance de la problématique foncière dans la fabrique urbaine et l’accès à la ressource alimentaire. Il y a urgence à conserver et à protéger le foncier agricole soumis à la pression urbaine. Le foncier disponible dans le périurbain est le foncier urbain de demain. Pour Olivier Bories, les Projets Alimentaires Territoriaux sont une belle occasion de piloter autrement la Ville et les territoires, en s’engageant dans une logique systémique et transversale. Les PAT ne sont pas seulement des projets alimentaires pour la santé, ils sont aussi des projets de santé sociale, des projets économiques, politiques et paysagers. En guise de conclusion, une citation de Sylvain Tesson : « L’aménagement du territoire, c’est le nom de la dévastation des espaces par la technostructure”. 

Acte 4
L’agriculture urbaine au prisme de l’économie,
du social et de l’écologie

En quelques années, l’agriculture urbaine est devenue un sujet dont une multitude d’acteurs veut se saisir. Quelle éthique et quelles valeurs pour le mouvement ? Peut-on réconcilier les formes high-tech et low-tech d’agriculture urbaine ? Y-a-t-il des dangers liés à l’avènement de l’agriculture urbaine ces dernières années ? Et si l’agriculture urbaine était avant tout un outil pour repenser notre rapport à la nature ? 

Intervenant.e.s

  • Antoine Lagneau (Institut d’Aménagement et d’Urbanisme – IDF)
  • Baptiste Lanaspèze (Editions Wildproject – Marseille)
  • André Villeneuve (Chambre d’Agriculture des Bouches du Rhône)
  • Anne-Cécile Daniel (AFAUP – Paris)

Quelles valeurs et quel rôle pour l’agriculture urbaine ?

L’agriculture urbaine peut conduire à une révolution radicale de notre façon d’habiter la Terre, la ville n’étant finalement qu’un espace entre deux champs. La fonction alimentaire dans l’agriculture urbaine est marginale, elle doit surtout être un outil pour repenser la ville et sa manière de l’habiter. L’avènement de l’agriculture urbaine est concomitante avec l’envie des citadins de voir plus de nature en ville. La question de la reconnexion des espaces fonctionnels, du lien entre urbanité et agriculture est essentielle. Une autre vision est celle de la recherche de la souveraineté alimentaire avec la réappropriation par les urbains de leur alimentation. Dans ce cas, la fonction alimentaire est importante mais doit venir en complément et ne pas être seulement productive. En effet, l’agriculture urbaine répond plus aux besoins de la ville qu’à ceux du monde agricole. 

Si les intervenants s’accordent majoritairement sur cette question, plusieurs points de vigilance ont été soulevés : 

  • La question des conditions de travail et de la rémunération des agriculteurs urbains ne doit pas être sous-estimée. 
  • Il apparaît nécessaire de consulter les agriculteurs autant que les paysagistes et les urbanistes pour l’implantation et la multiplication des fermes urbaines. 
  • Le défi majeur du renouvellement des générations dans le monde agricole doit être pris en compte. L’agriculture urbaine peut jouer un rôle de tremplin en ce sens. 
  • La pertinence d’une installation systématique d’agriculture urbaine doit être questionnée. La multifonctionnalité des villes doit être respectée, avec une vraie place pour les espaces naturels non cultivés. 

Sur les aspects économiques, de nombreux questionnements ont été soulevés. Si l’agriculture urbaine a une fonction sociale forte, pourquoi les financements pour des projets implantés dans les quartiers défavorisés sont-ils si difficile à lever ? 

Le positionnement vis-à-vis des financeurs privés, notamment de la grande distribution, est aussi un enjeu réel. Ces sources de financement sont elles acceptables et durables ? Plusieurs intervenants alertent sur la vitesse de développement de l’agriculture urbaine : il ne faudrait pas que pour avancer plus vite et obtenir rapidement des financements les porteurs de projets se laissent avaler par le politique et le privé. 

Le débat, low-tech vs. high-tech, a soulevé plusieurs interrogations. Antoine Lagneau défend une agriculture low-tech qui est celle du “prendre soin” de la terre et de la communauté des êtres vivants. Anne Cécile Daniel (AFAUP) souhaite quant à elle réconcilier le high-tech et le low-tech dans un large mouvement des agriculteurs urbains. La diversité des profils et des exploitations d’agriculture urbaine est la même que dans le champ de l’agriculture traditionnelle. André Villeneuve, lui, insiste sur l’absurdité de ce vocabulaire, qui ne veut rien dire, ni pour lui, ni pour le monde agricole classique. 

Problématiques et questionnements soulevés par les échanges 

  • Qu’est-ce que les collectivités attendent de l’agriculture urbaine ? Les objectifs ne sont pas toujours ceux que les porteurs de projets imaginent. 
  • Des financements privés et/ou publics pour les projets en agriculture urbaine ? 
  • Peut-on concilier pragmatisme et utopie ?

Conclusion de la journée : Christine AUBRY (Docteure en agronomie, ingénieure de recherche à l’INRA / AgroParisTech et spécialiste française de l’agriculture urbaine.)

Christine Aubry démarre sa conclusion sur ces notions de low-tech et de high-tech. Le low-tech serait écologiquement intensif tandis que le high-tech serait plutôt technologiquement intensif. Christine Aubry revient ensuite sur plusieurs points marquants de cette première journée :

  • L’importante diversité des systèmes techniques en Méditerranée.
  • Sur la question de la viabilité économique, Christine Aubry insiste sur le fait que ni l’agriculture urbaine, ni l’agriculture conventionnelle financée par la PAC ne sont économiquement viables. L’hybridation des modèles économiques est aujourd’hui quasi obligatoire pour la survie des projets. 
  • Le problème majeur, en lien avec le modèle économique, est donc la question du financement. S’il semble possible de le trouver à court-terme, l’agriculture urbaine est un sujet « à la mode », qu’en est-il à long terme ? La pérennisation passera forcément par le soutien public, et cela en lien avec l’ensemble des bénéfices éco-systémiques de l’agriculture urbaine.  
  • La question des temporalités est, elle aussi, importante. Les temporalités politiques ne sont pas les mêmes que celles des projets d’agriculture urbaine. Vitesse ne rime pas avec précipitation… La multiplication des projets est particulièrement enthousiasmante, mais attention à ne pas aller trop vite ! Il faut structurer notre mouvement, telle est la conclusion de cette journée. 

Acte 5
L’agriculture urbaine, un modèle d’évolution juridiques et réglementaires

À l’heure où l’agriculture urbaine prend une ampleur de plus en plus conséquente sur l’ensemble du territoire national, les vides et les freins juridiques se font sentir de façon toujours plus criante. L’agriculture urbaine demeure une activité “nouvelle” qui demande à être mieux définie et encadrée d’un point de vue juridique et réglementaire. Ce cinquième Acte a été l’occasion de faire le point. Où en est-on aujourd’hui ? Quelles bonnes pratiques sont mises en place par les collectivités ? Quel statut pour l’agriculteur urbain ? 

Intervenant.e.s

  • Antoine de Lombardon (Avocat en droit de l’environnement)
  • Thomas Chaullier (Jeunes Agriculteurs PACA) 
  • Julien Blouin (Urbaniste et consultant en agriculture urbaine)

Un foncier trop peu sécurisé

L’agriculture urbaine est à la croisée du droit urbain et du droit rural. Les pratiques vont certainement faire évoluer la législation. Certains projets comme à Nantes (Quartier Doulon Bottière) ou à Angers (Ferme urbaine Climax) ont permis d’adapter le Plan Local d’Urbanisme (PLU) notamment avec une Zone d’Aménagement Différée (ZAD) ou encore une zone UA (qui mixe différentes activités et fonctions d’habitats). La production agricole est encadrée par le droit rural, aujourd’hui inadaptée au monde urbain. Le bail rural est le contrat le plus sécurisant pour les agriculteurs : il n’a pas de critère géographique, il dispose d’un loyer faible et d’une durée minimale de 9 ans. Étant assez contraignant pour les propriétaires, le bail rural est rare en ville. Mais il existe, comme le montre la ville de Rennes dans la zone de la Prévalaye. Actuellement, la majorité des agriculteurs urbains ont des contrats précaires : bail précaire, Contrat d’Occupation Précaire, Autorisation d’Occupation Temporaire. Les propriétaires peuvent y mettre fin du jour au lendemain, sans indemnisation. Il faut travailler à la sécurisation de ces baux. Il semblerait qu’une méconnaissance des risques liés à ces baux existe aujourd’hui, notamment en cas d’investissements importants. 

Une sécurité sociale trop agricole ? 

La sécurité sociale agricole (MSA) est obligatoire pour les salariés et exploitants dans le secteur agricole. Elle est cependant peu adaptée à l’agriculture urbaine. Un des critères pour avoir un statut d’entreprise agricole et/ou être affilié à la MSA, est d’avoir 50% du revenu généré par l’activité agricole, contre 70% auparavant. L’importante hybridation des modèles économiques des projets d’agriculture urbaine rend encore difficile cette affiliation à la MSA pour les porteurs de projets. Cela explique que 40% des initiatives d’agriculture urbaine ne sont pas affiliées à la MSA.  

Des aides agricoles encore peu adaptées

La Politique Agricole Commune (PAC) ne mentionne aujourd’hui pas l’agriculture urbaine. La réforme dite de “renationalisation” qui se profile pour le vote du prochain budget de la PAC, devrait intégrer l’espace urbain au sein du deuxième pilier aujourd’hui très centré sur l’espace rural. 

Concernant la Dotation de Jeunes Agriculteurs, son but premier est la viabilité des exploitations agricoles et le renouvellement des générations. Elle demande un plan de rentabilité sur 5 ans, ce qui peut être contraignant pour l’agriculteur, qu’il soit urbain ou non. Dans les Bouches du Rhône il y a 750 installations d’agriculteurs par an dont 150 sont financées par la DJA. À l’heure actuelle, un seul porteur de projet en agriculture urbaine à Paris a obtenu la DJA. Le syndicat des Jeunes Agriculteurs découvre l’agriculture urbaine, ils travaillent actuellement à étudier les critères technico-économiques de cette nouvelle activité afin de mieux les accompagner. 

Problématiques et questionnements soulevés par les échanges 

  • Comment adapter le droit de l’urbanisme aux projets d’agriculture urbaine ? 
  • Comment adapter la DJA à l’agriculture urbaine ?
  • Faut-il créer un syndicat de l’agriculture urbaine comme il en existe dans l’agriculture rurale ?

Ateliers participatifs

Comment fédérer localement les acteurs de l’agriculture urbaine ? 

Grande question que celle de la fédération des acteurs de l’agriculture urbaine locale… Si l’AFAUP remplit ce rôle au niveau national, quels acteurs occupent cette place au niveau local ? Après les témoignages et les retours d’expérience de Lyon (GROOF), Bordeaux (AKEBIA), Dijon (UrbanLeaf) et Marseille (Cité de l’agriculture), les participants se divisent en sous-groupe pour réfléchir à ces questions. Quelle échelle est pertinente pour fédérer ? Quelles structures sont légitimes à fédérer ? Quels outils utiliser pour la fédération du réseau ? Quels liens entre l’AFAUP et ces fédérations locales ? Les résultats de l’atelier montrent que chaque territoire a ses spécificités et que les réseaux s’organisent en fonction. La question du financement des réseaux se pose ainsi que la place des collectivités et des chercheurs dans l’écosystème d’acteurs. 

Cultivons Marseille ! 

En partant d’une cartographie de Marseille et de sa périphérie, les participants de cet atelier ont pu partager leurs visions et leurs rêves pour la remise en culture des 130 hectares de foncier disponibles sur le territoire. Cet atelier a fait ressortir une volonté de penser le territoire par “pôles géographiques” en considérant les acteurs déjà installés. Pour chaque pôle, un parrain pourrait être choisi, doté d’un appui financier il pourrait développer son pôle puis accompagner de nouveaux porteurs de projets… L’idée de mutualiser du matériel (type CUMA) ou des ressources humaines (type Fongep ou TIG) est également, ressortie. 

Visites de site 

 

Le Talus 

Le Talus est une micro-ferme urbaine aux activités diverses. Production de légumes feuilles, poules pondeuses, cantine et programmation culturelle se côtoient sur 9000m2 de terrain, anciens délaissés urbains. Une présentation du site et des techniques de maraîchage biologique sur sols vivants a été faite aux participants par Carl Pfanner, co-fondateur du Talus. 

 

Le Paysan Urbain et Le Présage

En suivant l’itinéraire de la « découverte du Terradou Marseillais” initié par Jean-Noël Consales, les visiteurs se sont rendus sur les lieux de production du Paysan Urbain, un projet d’agriculture urbaine mêlant cultures de micro-pousse et insertion professionnelle. La balade s’est ensuite poursuivie jusqu’au site du Présage, un projet mélant restauration durable, énergies renouvelables et jardin-forêt comestible.

 

Capricorne

Situé dans le 15ème arrondissement, Capricorne est le projet de micro-ferme expérimentale de la Cité de l’agriculture. Alors que le bail vient tout juste d’être signé avec la Mairie, Maëlle Thueux, en charge du développement de la ferme, a présenté le terrain, les aménagements possibles et les principales activités envisagées pour les années à venir. 

 

Le lycée des Calanques & les Champignons de Marseille 

Le lycée des Calanques porte un projet de ferme urbaine à la fois support pédagogique pour les élèves et source d’approvisionnement pour la restauration collective de l’établissement. Paul Monsara a présenté les premiers aspects de ce projet en cours de développement. La visite s’est poursuivie dans les caves du lycée à la découverte d’une champignonnière urbaine portée par l’association Les Champignons de Marseille. 

 

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Un événement co-organisé par l’AVITEM, ASTREDHOR, l’AFAUP, le laboratoire TELEMME et la Cité de l’agriculture.

 

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  • LAPORTE Bernard
    21 décembre 2019 19 h 46

    Il ne faut pas restreindre le débat à la seule agriculture urbaine. La construction de la ville est au centre du débat, et donc les besoins des citadins. Ceux-ci sont multiples, et passent par l’existence de vastes espaces de nature et de végétation à dix minute à pied (contacts avec la nature, éducation à la nature, apaisement du stress urbain et bénéfices sur la santé, produits frais alimentaires à proximité, espaces de promenade et de découverte, cheminements récréatifs et sportifs, mise en valeur de patrimoine, paysages et espaces boisés valorisés,….). Il n’y a aucun modèle; ces espaces doivent être le résultat d’une ingénierie à grande échelle de chaque portion du territoire, avec une vision à très long terme, menée par les décideurs et les citadins. Ce ne peut-être que de grands espaces protéiformes préservés (plusieurs centaines d’hectares, voire des milliers), ils doivent être interconnectés. Ils concourent à la reconquête de la biodiversité et à l’atténuation des pics de chaleur.
    La question essentielle est la préservation définitive des terres encore non urbanisées dans les secteurs périurbains, par des PAENs, ou autres dispositifs à inventer. Le corollaire est le verrouillage de l’étalement urbain; les solutions sont connues, et supposent une détermination politique. Arrêtons la boulimie de croissance des villes et métropoles, cela mène au désastre environnemental. L’attractivité des villes se mesurera bientôt par le nombre de milliers d’hectares d’espaces naturels et végétalisés au sein de l’aire urbaine, et accessibles au plus grand nombre….

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