L’Opération Désert Alimentaire face au Covid-19

Suite à l’annonce des mesures de confinement, beaucoup d’habitant.e.s se sont rué.e.s vers les différents points de vente alimentaire autour de chez eux/elles pour faire des provisions. De nombreux magasins ont vu leurs stocks de pâtes, de riz et de conserves se vider.

Un système alimentaire en tension

C’est le cas aussi dans le 15ème arrondissement de Marseille où la Cité de l’agriculture propose depuis le début de l’année une série d’activités pour favoriser l’accès à une alimentation durable dans le cadre du projet Opération Désert Alimentaire¹. Cet arrondissement dispose d’un nombre limité de points d’offre alimentaire et certaines zones peuvent être qualifiées de déserts alimentaires². Alors que les cantines scolaires ont fermé et qu’il faut nourrir toute la famille, la situation actuelle est aussi parfois synonyme de perte de revenus et d’une plus grande difficulté à se nourrir. A cela s’ajoute, pour certain.e.s, la dépendance aux transports en commun – beaucoup sont contraints de faire des trajets importants pour faire leurs courses à des prix accessibles – ce qui, en temps de pandémie, augmente les risques de transmission du virus et aggrave le problème d’accessibilité alimentaire. 

Nous avons interrogé des habitantes qui participent au projet sur ce qu’elles vivent au quotidien depuis le début de la crise. Si pour certaines s’approvisionner en nourriture reste encore faisable, pour d’autres, c’est devenu plus compliqué. 

« Je suis allée au Casino St Joseph lundi et mardi. Il n’y avait pas de mesures de sécurité et beaucoup de produits manquaient. […] pas d’huile, de sucre, de riz, de semoule, de papier hygiénique, de sopalin, de lait.[…] Je n’ai pas voulu aller à Carrefour… peur de la panique » nous dit Shérifa, aide-soignante à la retraite et habitante du quartier des Aygalades. 

A Saint-Louis c’est Nadia, maman de trois jeunes filles et enceinte de son quatrième enfant qui s’est retrouvée jeudi devant des rayons vides de pâte, riz ou surgelés à Aldi. « On devrait dire aux gens de prendre ce dont ils ont besoin, ne pas faire des stocks, après on se retrouve sans rien ». Elle nous explique : « j’ai vu dans plusieurs magasins, ils augmentent les prix : la semoule, le sucre… 2,95€ le kg de pomme de terre à l’épicerie franchement ! Il n’y a pas de contrôle, ça devrait être interdit ».

 « J’ai vu des personnes agressives et ça m’a choquée […] je ne comprends pas que les gens ne soient pas prévoyants, compréhensifs ». Hourya, habitante de Campagne-Lévêque s’occupe actuellement de sa mère et a peur pour sa famille. Elle ne comprend pas le comportement des individus qui « perdent leur sang-froid ». Pour elle, nous devons nous montrer « solidaires et patients ». 

Finalement, Shérifa suggère « maintenant qu’on va interdire les marchés…on ne pourrait pas voir avec la ferme de Sainte Marthe ? Ou faire des paniers de légumes ? ». 

Renforcer les circuits-courts

Côté agriculture locale, il y a avec cette crise une très grosse inquiétude sur les débouchés.
Une partie de la production va habituellement vers la restauration et s’écoule également lors des marchés. Ces débouchés sont aujourd’hui presque totalement fermés alors que la production est là, et que les nouvelles récoltes de fraises et d’asperges devaient arriver sur les étals. Si cette production ne peut pas être écoulée c’est une catastrophe économique pour l’agriculture locale et un gaspillage énorme de produits frais de qualité qui peuvent nourrir une population aujourd’hui cantonnée à se rendre au supermarché.

En cette période de crise sanitaire, ne serait-il pas judicieux de renforcer les circuits courts ?
Bien plus résilients que la grande distribution car ils évitent la concentration de personnes et réduisent le temps de trajet entre le/la consommat.eur.rice et le/la product.eur.rice, ils permettraient également de rémunérer les product.eur.rice.s et de faire vivre l’économie locale. Des mesures peuvent être mises en place pour limiter les risques de contamination : paniers à domicile ou mesures de sécurité sanitaire sur les marchés. Les grandes surfaces ne pourraient-elles pas aussi jouer le jeu en achetant – à juste prix – des productions locales de fruits et légumes ?

L’agriculture en ville

L’agriculture urbaine apparaît également comme une solution riche et pérenne pour atténuer l’enclavement alimentaire. C’est ce qui s’est passé à Detroit lorsque les entreprises et les supermarchés ont peu à peu déserté la ville. Pour sortir de la crise économique, les habitant.e.s se sont mobilisé.e.s et ont créé différentes formes d’agriculture urbaine en se réappropriant leur territoire. Grâce à cela, la ville a pu répondre à de nombreux enjeux : nutritionnels, territoriaux, sociaux et environnementaux mais également économiques et démocratiques. 

A Marseille, beaucoup d’habitants, d’acteurs associatifs, de fermes urbaines, de centres sociaux, de jardins et de porteurs de projets se mobilisent en ce sens, pour faire de Marseille une ville plus verte, nourricière, résiliente et juste. Cette période de crise souligne ce besoin prégnant et stimule la réflexion et l’imagination. Si les pouvoirs publics veulent assurer la sécurité et la souveraineté alimentaires de l’ensemble des habitant.e.s, il est essentiel qu’ils renforcent leur soutien à ces initiatives. Il en va de la justice sociale et environnementale, ici et ailleurs sur le territoire.

Comme l’a annoncé lui-même le Président de la République Emmanuel Macron, dans une de ses récentes allocutions : « cette pandémie nous met face aux faiblesses de nos modes de vie et de développement. Après la crise, il y aura des ruptures à effectuer. »
Espérons que cette crise nous fera prendre conscience collectivement de la nécessité de relocaliser notre alimentation. Et agissons pour que cette parole se concrétise en systèmes alimentaires plus justes et résilients !

 

Louise Levayer & Océane Zamora
en charge de la mission Alimentation Durable
et de l’Opération Désert Alimentaire

 

 

¹ L’Opération Désert Alimentaire est un programme co-piloté par la Cité de l’agriculture et différentes structures locales depuis octobre 2019. Pour plus d’informations, cliquez ici !

² L’expression « désert alimentaire » ou food desert désigne un espace où les habitants ne peuvent se procurer des aliments sains (fruits, légumes, viande et produits laitiers frais) à des prix abordables
– source : Géoconfluences, ENS Lyon –

 

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